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Cette phrase que l'on trouve dans les salles de boxe patinées à l'ancienne où l'odeur de sueur de poussière et de gants repousse où rend "accro" peut-elle trouver du sens en aïkido?

Nous avons tous en mémoire le surnom donné au dojo original de l'Aïkido: le dojo de l'enfer.

Certaines phrases prises dans le livre "Aïkido" de Maître Tamura sont de cette veine : "faire 100 fois ce qu'une autre personne fait 10 fois", "considérer le dojo comme un champ de bataille", "même mort à 99%,...ordonner à votre cœur de ne pas abandonner le combat".

Aujourd'hui, comment peut-on s'approprier cet héritage de la douleur, du sacrifice de soi? Doit-on seulement en parler dans le champ particulier de notre discipline sans compétition, sans enjeu extérieur, sans combat?

 

Une réponse négative ôté tout sens à notre discipline. Que l'on pratique pour le plaisir, pour l'esthétisme, pour vivre une expérience apparentée au yoga, que l'on fasse siennes les sentences classiques ( ne pas utiliser de force, travailler à son rythme, éviter le conflit...), l'impact physique et mental de l'activité est indéniable et implique polissage de l'esprit et pétrissage du corps.

 

Une réponse par trop positive comporte quant à elle de nombreux risques et je pense que nombreux sont ceux qui ont subi moultes blessures physiques et morales pour avoir confondu entraînement et combat.

Nous sommes donc face à une recherche complexe où le blanc et le noir des réponses ne suffisent pas. Au quotidien de l'entraînement pourtant des pistes de réflexion apparaissent.

Pour être efficace, pour progresser, la pratique doit être longue. Le travail de la veille est continué aujourd'hui qui prépare demain.

Le dojo lieu de recherche inscrit celle-ci dans la durée pour construire un corps et un mental qui devraient alors être immédiatement disponibles lors d'un conflit.

Les règles qui régissent la pratique doivent seulement nous guider:

-ne pas blesser l'autre, ne pas se laisser blesser, ne pas se blesser,

-respecter l'enseignement transmis,

-répéter inlassablement,

-garder l'esprit du débutant et quelque soit le partenaire pratiquer sans le dénigrer, le gêner, le bloquer, mais en le respectant (qui est-il hors du dojo?),

-relire régulièrement le chapitre "keïko" écrit par Maître Tamura,

-en tant que professeur se donner toujours dans le travail au milieu des élèves et pas à côté d'eux,

-accepter la douleur et l'échec pour ce qu'ils sont: des indices e mauvais choix qui malgré tout renforcent le corps et l'esprit. On le dit souvent mais seule la mauvaise dose tue.Il est nécessaire d'apprendre à se connaître avant de connaître les autres pour savoir jusqu'où on peut accepter d'aller,

-aller alors toujours un peu plus loin sans se faire mal pour se faire mal. Il ne s'agit pas de se torturer pour le plaisir mais toute évolution passe par des moments difficiles, des échecs, des douleurs qui analysées, dépassées constituent des bases solides de progrès.

Un souvenir personnel me vient à l'esprit. Le lendemain du décès de Maître Tamura, nous étions avec Jacques Bardet et Robert Dalessanro en stage. Jacques proposa une heure entière de suburi. Bien qu'habitué à cet exercice, j'ai ressenti de multiples petites douleurs dans le corps, des douleurs inconnues jusqu'alors. Les prendre en compte, relâcher ces parties musculaires contractées m'a permis d'aller au bout du travail, de ressentir le plaisir lié à cette victoire. Je partage depuis encore plus régulièrement l'exercice.

 

À ces règles intangibles doivent s'ajouter les règles propres au combat, mot pris au pied de la lettre:

-fortifier son corps, son esprit par des exercices personnels réguliers,

-apprendre à subir l'épreuve,

-se mettre en danger pour anticiper ses réactions,

-savoir se taire dans la douleur.

 

L'entraînement n'est pas un combat et il est nous est souvent difficile en aïkido d'accepter cela. La compétition, et je sais combien ce mot est détesté dans notre discipline, existe pourtant. Elle est compétition contre soi-même et elle se vit dans tous les petits moments de l'entrée dans le dojo aux rencontres de tous les jours, dans tous les gestes de la vie courante, surtout ceux que l'on bâcle car trop familiers. Porter son attention sur les petits détails de la vie n'est pas du combat mais le moindre changement d'attitude peut parfois être décisif. Cette attention doit être cultivée. Maître Tamura d'ailleurs citait de nombreuses anecdotes sur sa vie d'ushi deshi au service de Moriheï Ueshiba dont il devait deviner les réactions.

Ouvrir son regard sur l'autre, les autres constitue la base d'une discipline martiale nécessaires pour réagir à bon escient.

Notre chemin traverse alors le champ de bataille.

Les paroles de William James trouvent ici leur sens:

"...Fais chaque jour une chose pour la seule raison que tu ne veux pas la faire, de sorte que lorsque viendra l'heure terrible de la nécessité, elle ne te trouve ni effrayé ni mal préparé à subir l'épreuve..."

On apprend dans la douleur.

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