Luc Bouchareu Aïkido
Le « Do » de l'Aïkido
Chacun ressent, vit et partage avec ses élèves cette dimension
à sa manière et peut apporter son propre éclairage et sa propre sensibilité
dans un témoignage personnel à ce sujet.
Dans la pratique, dans l’entraînement, la perfection n’est pas toujours présente,
le juste et le faux n’existent pas, l’expérience seule compte, le vécu, le ressenti.
La route tracée par Maître Tamura, son exemple, ses conseils et ses recherches sont autant
de balises et nous voulons, devons garder en mémoire corporelle les sensations ressenties lors de ses cours. C’est ce que nous essayons de faire, nous, tous ses élèves, chacun avec
son histoire, son vécu corporel, sa nature physique, mentale.
J’ai passé de nombreuses années à pratiquer en suivant l’enseignement de Maître Tamura.
« Une anecdote nous en apprend plus sur un Homme qu’un volume de biographie »
et je pourrais en raconter de nombreuses illustrant l’homme, le modèle. L’une d’elles m’a particulièrement marqué et je la raconte souvent.
Lors de la rédaction du livre « Techniques d’armes », nous avions demandé à Maître Tamura de nous donner son avis ainsi que des conseils sur le travail en cours. Il a bien sûr proposé d’abondantes corrections, en particulier sur les photographies au Ken que je présentais,
mais c’est sur la simple garde au Jo qui illustrait la première page du chapitre qu’il fut
le plus critique.
Afin de bien appuyer ses propos, il me demanda de saisir un Jo et de me mettre en garde
face aux autres auteurs du livre (Fabrice Cast, Alain Biehly, Jean Paul Moine, René Bonnardel). Maître Tamura n’était pas du tout satisfait et prenant le Jo, se mit en garde. Les quatre spectateurs reculèrent immédiatement de deux pas. « Voilà, ça c’est une garde ! ».
L’efficacité, valeur souvent discutée, contestée dans notre discipline, trouvait là en un instant, un exemple et c’est ce qui était remarquable chez Maître Tamura. J’ai le sentiment que
ce moment bien précis correspondait à la recherche constante d’une attitude juste,
d’un geste juste, d’une immédiateté que l’on ressentait dans le dojo.
Elève, j’ai perçu, ou interprété, différentes étapes dans l’enseignement de Maître Tamura.
Lors de mes débuts, la dépense physique, le « misogi » était surtout exigé. Bien sûr,
le geste juste était également recherché mais c’est la répétition, le pétrissage qui était valorisé.
Nous avons ensuite recherché le relâchement sur des saisies très solides. Un gros travail
en Go No Geïko était alors pratiqué, parfois jusqu’à l’excès. Nous en gardons encore fâcheusement de temps à autre les traces dans notre pratique.
Une très longue période a ensuite était consacrée, dans chaque moment de pratique,
dans chaque geste, à vivre la totalité de l’aïkido que ce soit dans la manière de s’asseoir
qu’à la marche sur le tatami.
L’enseignement a ensuite été beaucoup plus centré sur le relâchement des deux partenaires, la mobilité sans fioriture, la recherche du geste le plus économique et le plus juste possible.
Ces différentes étapes correspondaient à la quête continuelle d’un homme dont le but
était aussi de faire progresser ses élèves, qui revenait chaque année du Japon
avec de nouvelles recherches à partager. Je pense aux diverses préparations qu’il nous
a proposées.
Il me semble que l’enseignement de Maître Tamura était également très élaboré.
La pédagogie, qui est souvent décriée, était pourtant chez lui très présente et ses cours étaient des modèles de séances où compétences et objectifs s’affichaient très clairement.
Une des lignes de conduite dans son système pédagogique était également le choix laissé
aux élèves de développer leur propre pratique balisée par ses conseils et ses exemples concrets.
Chacun d’entre eux est reconnaissable et la filiation ne fait aucun doute. Pour autant,
chacun a développé un travail correspondant à ses qualités physiques, son histoire.
C’est ce cheminement que j’essaie de faire partager à mes élèves, débarrassé de ce qui parfois, par incompréhension, a perturbé ma pratique.
S’attacher à un état actuel ne peut que bloquer dans une étude. Au contraire, partager
des expériences vécues, rencontrer des pratiquants d’origines diverses, remettre en cause
sa pratique, rechercher encore et toujours est source de progrès.
Cela n’est pas une fin mais un moyen.
Il est coutume de dire que le chemin parcouru compte plus que la destination. C’est, je crois, ce que Maître Tamura nous faisait partager. C’est ce que je tente de faire avec mes élèves, mes partenaires d’entraînement.
« On finit par scier un morceau de bois avec une corde. L’eau creuse la pierre goutte à goutte. L’apprentissage de la Voie exige de l’endurance. L’eau forme un canal lorsqu’elle s’est accumulée.
Un melon se détache de sa tige quand il est mûr. La pratique de la Voie consiste à suivre le cours
de la nature » - Hong Zicheng, « Propos sur la nature des légumes »